Après un peu de repos...

Après cette promenade le long de la plage, brusquement interrompue par l'arrivée impromptue d'une famille en sortie, Haruka et Michiru étaient retournées à la décapotable et avaient préféré reprendre le chemin de la maison.

Leur appartement se situait au dernier étage d'un immense et luxueux gratte-ciel qui surplombait la ville entière. Baie vitrée, piscine privée... Grâce aux gains de ses multiples compétitions, Haruka avait pu acheter ce logement et en devenir propriétaire. Elles avaient toutes deux convenu que l'athlète paierait les taxes et les charges d'habitations, l'eau et l'électricité. En revanche, Michiru se chargerait de tout ce qui concernait la nourriture et le mobilier.

Une fois arrivées chez elles, Michiru s'était douchée puis glissée dans les draps de ce large lit qu'elle partageait avec Haruka. Intriguée, cette dernière était venue la voir.

Michiru n'était pourtant pas une jeune fille paresseuse. Pourquoi se mettre au lit si rapidement, sans même prendre le temps de manger ?

"Je suis un peu fatiguée..." avait avoué l'artiste peintre avec un sourire embarrassé.

Haruka avait donc dû chercher au plus profond de sa personne quelque talent de cuisinière. Un bandana noué dans ses cheveux et un tablier de cuisinière autour de la taille, elle avait entamé un combat acharné contre une casserole, heureusement armée d'une spatule pour vaincre l'ennemi métallique.

Finalement, elle était parvenue à un résultat peu esthétique mais qui savait se manger. L'aventure s'était finalement clôturée en une bonne nuit de sommeil largement méritée...



Le lendemain matin, à l'aube, Haruka découvrit une Michiru aux pommettes rougies. Inquiète, elle passa une main sur le front de la jeune fille qui lui répondit :

"Je crois que c'est une grippe..." murmura Michiru entre deux quintes de toux. "Désolée..."

Elle frissonnait. Haruka lui sourit doucement.

"Je vais aller faire les courses et chercher une pharmacie. Je devrais trouver ça dans le centre commercial du quartier."

Elle quitta le lit et s'enferma dans la salle de bain où elle prit une douche bien froide. Il n'y avait rien de meilleur au réveil que la sensation de l'eau glacée roulant sur la peau brûlante d'un corps engourdi par une nuit de sommeil... Elle shampooina ses cheveux et se rinça un bon moment avant de s'enrouler dans un peignoir. Une serviette dans la main, elle se sécha la tête et repensa à cette sortie à la plage.

Peut-être faisait-il un peu trop frais en soirée. Et le déménagement si soudain avait peut-être été trop éprouvant pour Michiru. Ceci ajouté au fait qu'elles avaient de lourdes responsabilités très éprouvantes, il n'était point étonnant que la jeune artiste tombât malade.

*Ne perdons pas de temps en élucubrations inutiles...*

Empoignant un jeans noir, une chemise blanche et un blouson, elle s'habilla prestement et entra dans la chambre à pas de loup. Michiru s'était déjà rendormie. Avec tendresse, Haruka effleura d'un index une pommette rose, puis quitta la pièce en refermant doucement la porte.

Elle prit son sac à bandoulière, fit jouer son trousseau de clefs dans la main et quitta discrètement l'appartement. Dans le parking sous-terrain que comprenait l'immeuble, elle se dirigea vers son garage privé et enjamba sa moto. Posant le casque sur sa tête, elle démarra et s'en alla en direction du Centre Commercial.



[ Suite au Centre Commercial... ]

[ Revenant du Centre Commercial ]


Décidément, Tokyo était la ville des rencontres inopinées. Même si Haruka y trouvait un certain avantage, elle avait parfaitement pris conscience qu'elle ne devait révéler son identité à personne. Michiru et elles étaient gardiennes d'un secret difficile à porter, mais qu'ensemble, elles pouvaient partager et alléger. Ce n'était donc point le moment de s'éparpiller et de faire diverses connaissances.

Après tout, aussi ravissantes étaient ces filles, elles ne restaient que des enfants à ses yeux. Nulle autre femme ne saurait avoir la maturité et la richesse intérieure de Michiru...

Fermant derrière elle la porte de leur appartement, elle posa les sacs de courses sur la table et le paquet cadeau sur la chaise de Michiru, en attendant de lui trouver une meilleure cachette.

Elle se massa la nuque, considérant tour à tour le sac à provisions, puis celui qui contenait des médicaments contre les états grippaux... Elle n'osais pas encore entrer dans la chambre. Michiru dormait peut-être, et un sommeil réparateur était important dans la guérison de ces mauvaises maladies.

Tiraillée, le garçon manqué se risqua néanmoins à quitter la cuisine et entrouvrir la porte de leur chambre. Là, elle surprit Michiru, assise sur leur lit, plongée dans une lecture sans doute passionnante, mais qui demeurait obscure pour Haruka. Avec un sourire, l'athlète se glissa dans la chambre et s'approcha lentement, sachant parfaitement que la jeune fille avait certainement senti sa présence depuis bien longtemps.

"Comment te sens-tu ?" murmura-t-elle avec douceur, s'approchant de la fenêtre et appréciant la brise légère qui balayait ses cheveux courts.

« Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu. »

Ayant achevé ce poème Michiru, ferma le recueil qui se trouvait sur ses genoux, Le Spleen de Paris, Baudelaire. Elle tourna son visage vers Haruka, lui adressant un petit sourire.

« On pourrait aller mieux. Je ne trouvais pas le sommeil, alors j’ai commencé la lecture de ce recueil de poèmes. C’est magnifique, vraiment. »

Elle se leva et s’approcha de sa compagne, pour s’arrêter à mi chemin entre le lit et la fenêtre.

« Néanmoins je pense qu’après cette nuit, et quelques médicaments tout ira pour le mieux. Tout s’est bien passé durant cette sortie en ville ? Rien d’inquiétant ? »

Elle avait laissé échapper les deux derniers mots, sans réellement le vouloir, la mission restait ce pourquoi elles étaient venues et une grippe ne pouvait pas être un obstacle valable pour s’en désintéresser.

Michiru avait toujours eu une sensibilité exacerbée pour l'amour des mots, et plus particulièrement dans leur langue d'origine. Haruka savait certes lire le français, mais la poésie n'avait jamais été son point fort, même en japonais moderne. Les haiku n'étaient pas difficiles à comprendre, mais disserter sur ces quelques lignes pendant des heures lui était impossible. Puisque la poésie européenne différait tant de la poésie asiatique, Haruka avait d'autant plus de problèmes à s'y faire...

Son esprit n'était pas fait pour les réflexions abstraites. Pour elle, tout était concret. Un peu trop terre à terre, peut-être... Si Michiru fuyait la réalité de ce monde en se plongeant dans un livre, Haruka faisait de même en repoussant toujours plus ses limites et s'enivrant de la sensation de vitesse qu'elle éprouvait en à pied, en moto ou en voiture...

Accueillant calmement les inquiétudes masquées de Michiru, Haruka sourit et reporta son regard au loin.

"Non, il ne se passe rien. L'ennemi n'a pas encore manifesté de signe de vie... Tant qu'il n'attaquera pas, nous pourrons difficilement le localiser..."

Ses yeux se durcirent alors qu'elle fixait l'horizon, le défiant presque de son visage arrogant.

"J'espère juste qu'on ne nous mettra pas des bâtons dans les roues..."

Son poing se serra dans sa poche. Cette mission... C'était un poison, une véritable vocation, suicidaire, qui les emporterait un jour ou l'autre. Combien de temps vivraient-elles encore ? À tout instant, l'ennemi pouvait se déclarer... Pour survivre, il leur fallait appréhender la moindre situation, devancer les plans diaboliques de leur adversaire pour ne jamais se laisser surprendre.

C'était grâce à leur lucidité et leur stratégie qu'elles avaient échappé à l'attentat de leur ancienne maison.

Ce souvenir accabla un peu plus le garçon-manqué. Quelles vies menaient-elles, à leur âge ? Et dire que des milliers de gamines sur cette planète rêvaient de vivre de grandes aventures héroïques et périlleuses... Comprendraient-elles un jour quels sacrifices il fallait faire pour survivre ? Non... Et cette immaturité exaspérait toujours l'athlète colérique.

La rancoeur. C'était le sentiment principal qui régnait sur le coeur d'Haruka. Elle s'était résignée à accepter sa destinée par sens du devoir... Pour Michiru également. Mais au fond, elle aurait souhaité rencontrer l'artiste en d'autres circonstances.

Aujourd'hui, il leur fallait mettre de côté leurs sentiments et se tenir prêtes à affronter les pires épreuves. De son côté, Haruka était prête à tout. Même à tuer une poignée d'innocents si leur existence mettait en péril le reste de la planète.

Et Michiru savait fort bien que la détermination de sa partenaire de combat ne s'effriterait point...

Michiru souriait toujours, elle espérait que son sourire pourrait donner à Haruka un peu de chaleur, de réconfort, elle savait qu’Haruka était déterminée à accomplir cette mission quoiqu’il puisse lui en coûter. Pourtant l’artiste s’en voulait d’avoir été celle qui lui avait demandé ces sacrifices, d’avoir été celle qui l’avait éveillée aux souvenirs douloureux de cette ancienne vie. Ce sourire était la seule chose qu’elle pouvait lui offrir pour tenter d’adoucir ce destin qui se montrait cruel envers elles.

Elle se trouvait toujours debout, au milieu de la chambre, la fatigue de cette position se faisait peu à peu ressentir. Elle se rapprocha donc de la fenêtre pour venir s’appuyer sur l’un des battants de la fenêtre. Elle posa une main sur l’épaule d’Haruka, et contempla la ville de Tokyo dont les lumières s’allumaient peu à peu au fil du déclin du jour.

"Qui à part nos ennemis pourraient vouloir nous freiner dans notre mission ?"

Un instant, une ombre passa dans ses yeux, non elle ne voulait pas y croire.

"Tu crois que … les guerrières de l’intérieur pourraient contrarier nos projets ? Elles ne se sont manifestées depuis notre arrivée ? Et puis, elles ne connaissent pas nos identités, elles ne pourront nous nuire. Et nous pouvons nous défendre, nous étions et nous sommes toujours je le crois plus puissantes qu’elles."

Après un silence elle ajouta :

"Tout est calme, trop calme, comme si l’ouragan couvait, il éclatera bientôt Haruka. Et je veux, que nous en sortions vivantes."

Elle avait baissé la voix en prononçant la fin de sa phrase, comme si elle n’osait pas formuler trop fort le souhait qui lui étreignait le cœur.

Lorsque Michiru avait fait allusion aux Guerrières de l'Intérieur, le garçon manqué avait fermé son visage et simplement hoché la tête. Ce quintet de gamines aussi naïves que déterminées l'effrayait presque autant que l'Ennemi.

Bien sûr, ce n'était pas ces filles qui pourraient les battre, cependant...

"Ce qui me fait peur, c'est que si nous venons à les rencontrer, elles nous gêneront et tenteront de nous empêcher de mener notre mission comme on l'entend. Combattre l'Ennemi ne me fait plus peur... nous y arriverons, car nous n'avons pas d'autre choix que celui de réussir cette mission..."

Elle soupira...

"Nous réussirons, sauf si elles deviennent une entrave pour nous. Si elles viennent à perturber nos plans, nous n'aurons plus un ennemi, mais deux. Se battre contre elles sera une perte d'énergie considérable, et l'Ennemi saura profiter de notre discorde pour nous éliminer toutes..."

L'échec. Cette éventualité était inconcevable. Pourtant il fallait oser l'étudier afin d'éviter justement cette sombre alternative...

Elle ne glissa pas un regard à Michiru. Cette dernière semblait inquiète, mais Haruka n'était finalement pas plus rassurée. Lui rendre un sourire faux aurait été déplacé, et l'artiste se serait certainement vexée de voir sa partenaire afficher au coeur de leur intimité ce masque tout juste bon pour les autres...

L’atmosphère de la chambre était devenue celle de la peur, celle qu’elles s’efforçaient de combattre lorsqu’elles étaient à l’extérieur… Si elle avait pu au moyen d’un sourire, d’un geste, effacer l’ardoise, effacer leur mission, Michiru l’aurait fait. Mais il n’en était pas question. Le sourire de l’artiste s’effaça, elle était fatiguée, mais la grippe n’était plus là, elle ne l’immobiliserait pas plus longtemps.

"Nous sommes pour le moment dans l’attente d’un signe de nos ennemis, pour l’instant rien ne s’oppose à la réalisation de ce pourquoi nous sommes venues ici, si les guerrières de l’intérieur viennent à se manifester, nous aviserons, peut être après tout voudront-elles nous aider."

Elle réprima une moue ironique.

"Non pas que je les en crois capable, mais cette éventualité reste une possibilité. Nous n’en sommes pas encore là, pour le moment."

Jetant un coup d’œil par la fenêtre, elle soupira, Tokyo et ses lumières était splendide, mais l’océan sauvage l’aurait rassurée, lui aurait peut être même murmuré dans le langage des vagues des mots de réconforts, ces mots de rêve qu’elle ne partageait qu’avec elle-même…Se tournant à nouveau vers Haruka, elle reprit :

"Je ne connais pas encore très bien cette ville, mais il serait étonnant qu’on ne puisse y trouver quelque chose à faire par une soirée aussi belle, je me sens mieux. Je serais heureuse d’arpenter à nouveau ces rues avec toi."